Petit guide pour écrire aux personnes détenues !

La section francilienne de l’Anarchist Black Cross propose un petit guide pour écrire aux personnes détenues ! Ce guide sera bientôt proposé en format brochure pour une diffusion numérique et papier. D’ici là, n’hésitez pas à nous contacter pour proposer des corrections et compléments !


Guide pour écrire aux personnes détenues

Toutes les personnes détenues peuvent écrire et recevoir des lettres, sans limitation quant à leur longueur et leur fréquence. Pour une personne détenue, recevoir du courrier est important pour tenir moralement. C’est une marque de soutien et un lien avec l’extérieur. Le courrier signale également à l’administration pénitentiaire (AP), à son personnel et aux co-détenu.e.s que la personne n’est pas isolée : c’est important si elle subit (ou est susceptible de subir) des violences. Dans cette brochure synthétique, nous donnons dans un premier temps des conseils généraux pour l’écriture aux personnes détenues, avant d’aborder certaines contraintes juridiques.

À savoir : les contraintes juridiques présentées ici sont celles définies par le code de procédure pénale français. Chaque pays peut imposer des contraintes spécifiques à la correspondance des personnes détenues. Pour connaître ces contraintes, vous pouvez par exemple consulter les sites web de collectifs locaux (sections ABC, comités de soutien, etc.) Aussi, quelque soit le pays de détention, le respect de la correspondance des personnes détenues est soumis à l’arbitraire de l’AP.

1. Conseils généraux

Ça y est, vous avez pris la ferme et belle décision d’écrire à une personne en détention ! Maintenant, vous vous posez plein de questions sur les contraintes et les possibilités associées à ce geste. Voici quelques éclairages !

1.1. Contenu du courrier

Un premier conseil général est d’éviter les propos pouvant compromettre la personne détenue. Pensez surtout à ce que vos courriers restent pour la personne détenue un moyen de s’évader mentalement et de tenir bon :

  • Lettres, cartes postales : on peut rédiger une lettre ou compléter simplement une jolie carte. Une idée est de demander à votre entourage de glisser des mots solidaires sur différentes cartes pour mettre ensuite toutes ces cartes dans un même courrier. Une carte peut être un format intéressant si on peine à trouver les mots.
  • Images : il est aisé d’enrichir son courrier avec des illustrations, dessins, etc. Par exemple, on peut mettre la photocopie de la couverture d’un bel ouvrage ou d’un album de musique dont on parle dans notre lettre.
  • Affiches : on peut  joindre l’affiche d’un événement pouvant intéresser la personne détenue. Une idée est de demander à plusieurs personnes de glisser des mots solidaires au dos d’affiches, à l’occasion d’un événement collectif par exemple. Ça peut faire plaisir à la personne détenue de voir que beaucoup de personnes pensent à elle.
  • Photos : les polaroïds posent problème, mais les photographies standards peuvent être envoyées. On trouve des bornes d’impression-minute dans la plupart des grands magasins. Attention néanmoins, les photographies, même imprimées, sont susceptibles de laisser des informations sur l’appareil qui a servi à la prise d’image. Soyez prudent.e.s !
  • Utiliser une photocopieuse : on peut faire des feuilles à en-tête pour nos lettres, créer des affiches avec un ensemble de cartes postales, etc.
  • Revues et livres : on ne peut pas joindre des revues ou livres à nos courriers car ils seront alors considérés comme des colis (l’envoi de colis nécessite entre autres l’accord préalable de l’administration). En revanche, on peut découper ou photocopier des articles/chapitres et les joindre à notre courrier. Certaines brochures ou revues fines peuvent passer, en retirer les agrafes facilite souvent leur entrée derrière les barreaux.
  • Paroles de chanson, poésie : les arts stimulent nos émotions et notre imagination.
  • Échantillons du quotidien : des objets du quotidien peuvent être une belle surprise, comme un ticket de métro, un flyer, la carte de visite d’un endroit qui vous a plu, le plan d’une ville qu’on vient de visiter, etc.
  • Autocollants, gommettes : l’AP tend à refuser les courriers comportant des éléments avec de la colle. Si vous choisissez de glisser des autocollants dans votre courrier, sachez qu’il aura moins de chance de parvenir à la personne détenue.
  • On peut mettre des plumes, des feuilles et fleurs séchées, etc. On peut parfumer le courrier. On rappelle ainsi les textures, odeurs et sensations que les personnes détenues pourraient oublier derrière les barreaux.

Attention à écrire bien lisiblement ! Il peut être frustrant pour la personne détenue de ne pas parvenir à vous lire.

Contraintes : les documents ne doivent pas dépasser le format A3. Aussi, le courrier ne doit pas dépasser les 2 kilos, et le personnel pénitentiaire doit pouvoir facilement ouvrir le courrier. Le code de procédure pénale interdit l’envoi d’argent et de denrées alimentaires (du coup, ne mettez pas des éléments comme des écorces d’orange, etc.)

Idée : on peut faire parvenir une affiche d’un format supérieur en la découpant et en l’envoyant dans plusieurs courriers, sous la forme d’un puzzle par exemple.

1.2. Identités et adresses

Sur l’enveloppe, les informations suivantes doivent être données :

  • Nom et prénom de la personne détenue, ainsi que son numéro d’écrou suivi de l’adresse de la prison. Au dos de l’enveloppe, l’identité et l’adresse de l’expéditeur (vous).

Vous pouvez utiliser un pseudo. Pour l’adresse expéditeur, voici plusieurs pistes :

  • Vous pouvez utiliser une fausse adresse (mais en cas de réponse vous ne pourrez donc pas réceptionner le courrier).
  • Des lieux solidaires peuvent éventuellement servir d’adresse postale (une librairie militante, etc.) Si votre localité comprend un collectif de soutien aux personnes détenues, vous pouvez le contacter, il pourra peut-être vous aider dans cette démarche.
  • Les boites postales sont souvent refusées par les prisons.

1.3. Intégrité du courrier

L’AP contrôle toutes les correspondances de la personne détenue. Les abus ne sont pas rares, les courriers sont facilement retardés et délestés d’une partie de leur contenu. Voici quelques conseils pour réduire les risques :

  • Datez votre courrier.
  • Numérotez les pages de votre lettre.
  • Si vous joignez du matériel de correspondance à votre courrier, collez les timbres sur les enveloppes.
  • Le cas échéant, écrivez l’adresse à laquelle la personne détenue peut répondre dans votre lettre (la partie de l’enveloppe comprenant l’adresse expéditeur peut être arrachée par le personnel pénitentiaire).

Dans votre lettre, listez tout le contenu du courrier. Par exemple :

    • 1 lettre (3 pages)
    • 1 enveloppe timbrée
    • 2 feuilles blanches
    • La photocopie d’1 texte (15 pages)
    • 3 illustrations (format carte postale)

1.4. Premier contact avec une personne détenue

Vous souhaitez écrire à une personne détenue que vous ne connaissez pas personnellement, et vous hésitez sur la démarche à suivre. Voici quelques conseils pour vous aider.

Différentes démarches d’écriture

On peut distinguer différentes démarches d’écriture : (1) envoyer un courrier simple (par exemple, envoyer une lettre dans le cadre d’une campagne de solidarité), (2) envoyer un courrier avec le souhait d’établir une correspondance avec la personne détenue. Choisissez la démarche qui vous convient.

Écrire avec douceur

Présentez-vous à la personne détenue et précisez de quelle façon vous avez entendu parler de son incarcération. Exprimez votre solidarité, votre soutien. En cas de réponse, il est important de respecter le ton adopté par la personne détenue.

Parler de politique

Certaines personnes détenues ne veulent pas parler de politique, d’autres au contraire revendiquent le statut de détenu.e.s politiques. Les sites web de solidarité peuvent préciser la position de la personne détenue.

Pour une correspondance, il ne faut pas hésiter à poser des questions : “Souhaites-tu parler de ton procès avec moi ?” ou “As-tu envie que nous parlions de politique ?” Si la personne détenue souhaite recevoir des contenus politiques, alors il est important de lui envoyer des publications pouvant l’intéresser, des coupures de journaux, etc.

Ne vous censurez pas politiquement, tout en gardant à l’esprit que l’administration contrôle toutes les correspondances de la personne détenue (par exemple, vous pouvez parler d’actions politiques, mais n’évoquez pas votre participation ou celle des autres).

Langue

Vous pouvez écrire dans une langue non locale (par exemple en anglais pour une personne détenue en Allemagne). En revanche, le courrier risque de mettre plus de temps à parvenir à la personne détenue car il doit être traduit par l’administration.

Sujets d’intérêt et besoins

Demandez à la personne quels sont ses sujets d’intérêt. Cette information est parfois donnée par les sites web de solidarité. Demandez-lui également quels sont ses besoins. La personne détenue peut être confrontée à des problèmes particuliers. Est-elle en conflit avec l’AP ? Est-elle menacée par des surveillant.e.s, des co-détenu.e.s ? Lui manque-t-il du linge ou de l’argent pour cantiner ? A-t-elle des difficultés à accéder à un avocat.e ou à des textes de loi particuliers ?

A l’intérieur, répondre n’est pas toujours aisé

Beaucoup de personnes en détention ont du mal à écrire, pour diverses raisons : parce qu’il n’est pas aisé de rapporter par écrit ses sentiments dans une cellule de 9m2 partagée avec d’autres personnes, parce que toutes les journées se ressemblent et qu’on a l’impression de plus rien avoir à dire, etc. Aussi, le temps ne s’écoule pas de la même manière en détention.

L’absence de réponse de la part de la personne détenue ne doit pas vous mener à abandonner l’écriture : continuez à envoyer régulièrement des courriers, suscitez l’intérêt de la personne, joignez des dessins, coupures de journaux, etc. Il est important, surtout pour les détenu.e.s avec de longues peines, d’écrire dans la continuité, de mener des discussions.

Aide à la correspondance

A leur arrivée en prison, toutes les personnes détenues reçoivent un “kit correspondance” comportant timbres, papier à lettre, enveloppe et stylo. Par la suite, les personnes détenues doivent soit se procurer le nécessaire à écrire par la cantine (système de vente par correspondance géré par l’AP et imposant des prix particulièrement élevés), soit se le faire apporter par leurs proches.

Joindre une enveloppe timbrée et des feuilles au courrier facilitera la réponse. Précisez à la personne détenue qu’elle est libre d’utiliser ce matériel pour la correspondance de son choix.

2. Information sur certaines contraintes juridiques

2.1. Personnes détenues prévenues

Des contraintes peuvent être imposées par l’autorité judiciaire aux personnes détenues qui sont dans l’attente de leur procès :

  • Le juge d’instruction peut imposer une “interdiction de communiquer” pour une période de 10 jours, mesure renouvelable une fois seulement. Sur cette période, la personne détenue ne peut recevoir aucune visite (y compris des membres de sa famille), elle ne peut pas non plus téléphoner, écrire, recevoir du courrier, ni même communiquer avec d’autres personnes détenues.
  • Le magistrat en charge de la procédure peut s’opposer à ce que les personnes détenues prévenues correspondent par écrit soit de façon générale soit à l’égard d’un ou plusieurs destinataires expressément mentionnés dans sa décision, y compris les membres de la famille.

2.2. Surveillance du courrier

L’AP contrôle toutes les correspondances reçues et envoyées par la personne détenue. Ce contrôle, réalisé par les services du vaguemestre, consiste à ouvrir et lire les courriers. En pratique, tous les courriers ne sont pas nécessairement lus, mais ils peuvent donc l’être.

À ce contrôle par l’AP, s’ajoute, pour les personnes détenues prévenues, celui du magistrat en charge de la procédure (juge d’instruction, procureur de la république).Tous les courriers envoyés et reçus par les personnes prévenues sont en principe transmis à ce magistrat (ce qui explique souvent la lenteur de l’acheminement du courrier), sauf si ce dernier en décide autrement. Il informe le directeur de la prison des conditions dans lesquelles la correspondance doit lui être communiquée.

2.3. Courrier bloqué

L’AP peut retenir un courrier (ne pas le remettre à la personne détenue) pour les raisons suivantes :

  • Elle contient des éléments de nature à “compromettre gravement” la réinsertion de la personne détenue “ou le maintien du bon ordre et la sécurité” (selon l’AP). Ainsi, le fait de formuler dans un courrier des menaces, injures ou propos outrageants à propos du personnel du système pénal (flics, juges, maton.ne.s, etc.) peut conduire à une rétention du courrier. Mais nous pouvons exprimer notre aversion pour la prison et son monde autrement que par des formules ouvertement ostentatoires.
  • L’administration peut également retenir un courrier si il n’est pas “régulier” (contient des objets ou comporte des signes ou caractères illisibles). Ainsi, les courriers ne doivent contenir aucun message codé compréhensible des seul.e.s correspondant.e.s, une règle qui s’applique aux textes et aux images.

En principe, la décision de retenir un courrier doit donner lieu à une procédure contradictoire : le chef d’établissement doit informer la personne détenue qu’il envisage de retenir le courrier et offrir à cette dernière la possibilité de formuler des observations. En pratique, il arrive que le courrier soit abusivement retenu et que la personne détenue n’en soit pas informée. On peut s’en plaindre en adressant un courrier au chef de l’établissement pour obtenir des explications. La pratique du “flood” (inondation) peut être intéressante : il s’agit ici de submerger l’AP de courriers pour l’acculer à changer de position. Cette vague de courriers peut être adressée à la personne détenue et/ou au chef de l’établissement. L’aide d’un collectif militant peut être précieuse pour une telle démarche. Sous la pression de ce “flood”, l’AP peut mettre un terme à la rétention du courrier.

2.4. En cas de transfert ou libération

Les courriers adressés à une personne détenue doivent en principe être réexpédiés par les services du vaguemestre à la nouvelle adresse, dans un délai maximal de 3 jours et aux frais de l’AP. En pratique, les services du vaguemestre se contentent le plus souvent d’un renvoi à l’expéditeur.

En guise de conclusion

Pour finir, sachez que l’Anarchist Black Cross – Paris/IDF met à disposition sur son blog des adresses de personnes détenues souhaitant recevoir du courrier, et organise tous les mois des ateliers d’écriture aux détenu.e.s (avec un classeur contenant des adresses supplémentaires).

parisabc.noblogs.org